Entreprises libérées…

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Vers une gestion nécessaire de la complexité !

Les entreprises libérées font depuis plusieurs années l’actualité des revues managériales et véhiculent des images de succès que beaucoup admirent, autant du côté des dirigeants que des salariés d’ailleurs. À tel point que d’aucuns se demandent maintenant si c’est, oui ou non, la panacée…

Il en résulte que si quelques organisations pionnières, telles que Favi ou Morning Star, paraissaient jadis marginales dans leur approche révolutionnaire du management, elles inspirent aujourd’hui des tas d’entreprises convaincues par leur modèle, qu’elles soient petites, moyennes ou grandes organisations. Ce faisant, c’est aussi tout un courant de pensée et de pratiques qui se développe et se diffuse dans le monde du travail.

Du sens au travail, des responsabilités…
Dans les faits, chacun admettra qu’il est encore difficile d’évaluer finement l’impact sur la performance productive et financière des entreprises. Il n’en reste pas moins qu’un tel mouvement rencontre les aspirations dominantes des nouvelles générations de travailleurs, vous savez les fameuses générations de fin d’alphabet. Des salariés qui ne s’embarrassent plus des conventions et osent demander plus de sens quant à leur travail, des responsabilités et des marges de manoeuvre accrues aussi, bref un épanouissement professionnel plus important. En fait, voilà des paramètres qui deviennent aujourd’hui essentiels pour nombre de travailleurs, alors qu’ils ne l’étaient pas nécessairement hier ou que le travailleur lambda n’osait pas les mettre en avant…

Pour des organisations plus agiles !
Ce qui n’a, au fond, pas trop l’air de perturber outre mesure les patrons. Ainsi, globalement, du côté des organisations, des telles pratiques semblent être une voie royale vers plus d’agilité, des relations sociales plus sereines ou encore un apprentissage organisationnel pérenne favorisant, çà et là, la créativité et l’innovation. En résumé, et aussi étonnamment que cela puisse paraître, toutes les parties peuvent donc y trouver leur intérêt. Pour autant, il ne suffit cependant pas de décréter la libération des entreprises pour que celle-ci percole dans l’organisation à tous les étages, dans tous les services et à travers l’organigramme entier. Et, précisons-le ici, pour couper net toute idéalisation du modèle, il ne suffit pas non plus d’être managé par un leader libérateur – aussi charismatique soit-il – pour qu’une telle transformation ait nécessairement lieu…

Partager le pouvoir et la prise de décision !
L’approche ne peut être que systémique et toucher à différentes sphères de l’organisation. On pense à l’adaptation de la structure et des règles de management, à la révision des ‘process’, procédures et démarches (qui y sont légion), au développement des compétences nécessaires pour les collaborateurs, sans compter la prise en compte des dynamiques psychosociales et culturelles qui s’y déploient. Une attention toute particulière est alors généralement accordée au partage du pouvoir, aux modes de prise de décision, à « l’empowerment » des collaborateurs, au développement d’un environnement qui donne des ailes ou encore à la diffusion adéquate de l’information. On estime dans la démarche que c’est notamment à ces conditions que peuvent se développer l’esprit d’initiative, la prise de responsabilité, une autonomie véritable, ainsi que l’adhésion à une vision d’entreprise partagée.

On ne supprime en rien le cadre !
Mais que l’on ne s’y trompe pas. De telles approches, qu’elles soient baptisées d’entreprises libérées, ou plutôt d’organisations opales, holacratiques, holistiques ou autres, ne consistent en rien en la suppression d’un cadre de travail rigoureux, bien au contraire. Ça, c’est évidemment capital à préciser, en soulignant que les patrons qui choisissent ces modèles ont également en tête des impératifs de rentabilité, de réussite… Il est à noter, dans cette nouvelle définition de l’entreprise, que sitôt que les arbitrages de production, ou que la régulation des rapports sociaux ne peuvent se réaliser exclusivement à l’aide de procédures standardisées prédéfinies ou via le recours d’une autorité managériale quelconque, c’est le cadre de travail qui doit jouer le rôle de tiers.

Liberté, responsabilité et autonomie sont des choses exigeantes !
Fort de ses règles, de ses principes, de ses normes et pratiques aussi, celui-ci doit alors être suffisamment formalisé, explicite et intégré pour constituer un véritable point de repère pour les collaborateurs. C’est que l’exercice de la liberté, de la responsabilité et de l’autonomie est particulièrement exigeant. Dans cette logique, les zones de tension (relationnelle, stratégique, structurelle…) ne sont plus occultées et doivent, au contraire, être traitées en permanence individuellement ou collectivement. Ce sont d’ailleurs elles qui font évoluer l’organisation positivement. On comprend, ce faisant, que la liberté ne peut être pensée qu’en rapport avec la contrainte ! Que la prise d’initiative ne verra le jour que si l’on éprouve la responsabilité de ses choix et de ses effets (positifs comme négatifs). Que l’autonomie ne peut se déployer que dans un environnement d’interdépendance avec autrui !

Nouveau management !
Ces couples, a priori antinomiques (liberté-contrainte, initiative-responsabilité, autonomie-interdépendance) sont devenus les éléments structurants de ce nouveau mode de management. Ce faisant, ils s’érigent en contre-pied du management traditionnel, qui a toujours poussé à la réduction des risques et de l’incertitude, particulièrement auprès des collaborateurs « de la base ». Aujourd’hui, l’écosystème des organisations est tel que la gestion de ces risques et de cette incertitude au coeur même des entreprises devient essentielle. Cela passe par la mobilisation collective des idées, des savoirs, des compétences, des aspirations. Se montrer réactif ou, mieux, proactif face à (ou en lien avec) son environnement suppose donc d’accepter une forme de complexité au sein de l’organisation. Elle seule permet de traiter adéquatement une variété de paramètres en les priorisant et les articulant.

Ne pas confondre libération et anarchie !
Dans cette perspective, la complexité n’est en rien synonyme de désordre. Elle ne signifie pas que chacun fait ce qu’il souhaite comme il le souhaite. Au contraire, cette complexité-là invite à clarifier les règles de fonctionnement (donc le cadre de travail structurel et symbolique) pour que chacun puisse se saisir pleinement de son périmètre de décision et d’action. Elle invite à la cohérence, en épousant des formes organisationnelles compatibles avec les exigences formulées à l’adresse de ses collaborateurs. Elle invite à la pertinence en octroyant les ressources adéquates aux personnes qui en auraient besoin. Elle invite à la consistance en cherchant à toujours améliorer son propre mode de gouvernance au regard des besoins de l’organisation. Le mouvement des entreprises libérées n’a pas rendu plus simple la gestion de ces dernières. Il invite, en revanche, à repenser en profondeur les réponses que l’on peut apporter aux défis que connaissent, ou vont connaître, les organisations dans les années à venir. C’est son tout grand mérite…